Le silence de la mer by Vercors

Le silence de la mer by Vercors

Auteur:Vercors [Vercors]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Bibliothèque de NicoCergy alias Poponne
Publié: 0100-12-31T23:00:00+00:00


* * *

Les jours qui suivirent, Vendresse parla peu. Il tournicotait beaucoup, faisait des rangements. Le travail s’en ressentit. Dacosta ne le remarquait pas ou faisait semblant.

Le lundi de la semaine suivante, vers dix heures, Vendresse brusquement mit son chapeau et s’en fut voir un collègue, rue d’Alésia. Ils parlèrent de choses et d’autres, puis Vendresse dit :

— Pourquoi ont-ils arrêté Whemer ?

— Oh ! dit l’autre, vous vous en doutez bien.

Vendresse rougit.

— Oui, oui, sans doute... Dites tout de même.

Il n’aimait pas ce Whemer. C’était un petit représentant en papier, spécialités pour faire-part. Sans âge. Un peu crasseux.

— Il ne portait pas l’étoile. Il avait gratté sa carte.

— Ce sont les Fritz qui l’ont pigé ? dit Vendresse.

— Pensez-vous.

— Les Français ?

— Bien sûr. Faut dire qu’il avait une bonne clientèle. Elle n’est pas perdue pour tout le monde. Ça se comprend, que voulez-vous. Ils grouillaient comme des mouches, tous ces Pollacks. Je sais que vous ne les aimez guère, vous non plus.

— Non, dit Vendresse. Mais ça ne fait rien, c’est moche tout de même.

Il revint passage d’Enfer. Il s’arrêta une fois de plus boulevard Raspail, devant l’affiche rouge bordée de noir qu’il connaissait bien, la sinistre affiche où figuraient les noms de dix communistes et autant de Juifs, fusillés comme otages.

Dacosta était à sa casse, il composait un carton de publicité et boudait un peu, parce qu’il s’agissait d’une manifestation, au profit des prisonniers, sous l’égide du Maréchal. (Ils s’étaient disputés le matin à ce sujet.) Vendresse enleva lentement son chapeau, son pardessus, et vint vers lui les mains dans les poches, en se balançant sur ses petites jambes. Il toussa.

— Dis donc...

Dacosta leva les yeux, regarda le bon visage rondouillard où le trouble et l’incertitude s’inscrivaient de façon attendrissante. Il sourit et dit :

— Alors ça y est ? Il faut que je les mette ?

Vendresse en eut le souffle coupé. Il ouvrit la bouche, leva une main, ne dit rien. Dacosta reprit tranquillement son travail.

— Si tu crois, dit-il, que je n’ai pas deviné ce qui se mijote... Et est-ce que je ne savais pas, depuis le premier jour, qu’on en viendrait là ? C’est toi, avec ton Pétain...

— Laisse Pétain tranquille, dit Vendresse. Il n’y est pour rien. Ce n’est pas sa faute si des salauds...

— On ne va pas se disputer une fois de plus pour ce vieux crabe, dit Dacosta. Si je comprends bien, l’air est devenu malsain pour moi ici ?

— J’en ai peur. Ce gros porc de Paars est un infâme salaud. J’ai été con : je t’ai dissuadé de t’inscrire comme Juif, et maintenant...

— Rassure-toi : je ne serais pas dans de meilleurs draps. Nous y passerons tous, je te dis, plus ou moins tôt. Vaut peut-être mieux que ça tourne mal pour moi maintenant ; plus tard ç’aurait pu être pire.

— Paars veut ta place pour un minus qu’il a fait à sa dactylo, qu’il ne se soucie pas de reconnaître et dont il ne sait plus que faire, parce que personne ne veut d’un déchet.



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